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Le point de vue de l'artiste

Quand André Gide vit pour la première fois la Méditerranée d’Aristide Maillol au  Salon d’Automne  de 1905, il écrivit dans son article de la  Gazette des Beaux Arts : « Elle est belle ; elle ne signifie rien ; c’est une déesse silencieuse. Je crois qu’il faut remonter loin en arrière pour trouver une aussi complète négligence de toute préoccupation étrangère à la simple manifestation de la beauté. »

Voilà en tout cas une des raisons qui m’amènent à me sentir plus d’affinités avec Maillol quavec les sculpteurs pathétiques qui l’ont précédé. Ajoutons à cela son culte de la femme, et tout est dit.

Il n’empêche que j’ai aussi été séduit par d’autres sculpteurs plus proches de moi dans le temps et dans l’espace. Et, pour n’en citer qu’un, Charles Leplae, dont la Jeune fille agenouillée, bronze monumental ornant la façade de la Banque Nationale à Bruxelles, m’a toujours impressionné, tant elle allie fraîcheur et majesté.

Voilà donc la voie à la fois sensible et sévère que je voudrais tenter de suivre. J’aimerais, dans ma sculpture, rendre à la femme le culte qu’elle mérite, loin des exploitations commerciales dont le vingtième siècle nous a gavés. Evoquer la féminité à l’état pur, en maintenant toujours une certaine distance méditative entre mes sujets et moi.

D’où, je voudrais bien me garder de tomber dans deux travers qui me feraient basculer assurément aux antipodes de mes aspirations : l’anecdotique et le vulgaire.

Au risque de paraître manquer d’originalité, je voudrais éviter de raconter les êtres, de les mettre en situation ; je préfère de loin ne représenter qu’un seul personnage à la fois, la femme encore et toujours, chez qui l’intériorité l’emporterait sur le verbe, l’immobilité sur le mouvement, le naturel sur l’artifice. Elle peut dormir, s’éveiller et s’étirer, danser même, mais sans trop déranger l’espace. Et surtout ne rien dire : elle doit émouvoir sans parler.

Quant au vulgaire, au sens large comme au sens strict, on y verse souvent plus vite qu’on ne pense. Au sens large, c’est tomber dans le banal, le facile, le kitch. C’est là une question d’évaluation difficile à définir. Au sens strict, ce serait privilégier l’érotisme, comme on peut passer de la photo d’art à la photo de charme. Ce serait perdre sa candeur naïve, ses illusions de jeunesse, et « vieillir » au sens où l’entendait Jacques Brel.

Or, pour conserver aussi intacte que possible cette candeur, il existe un remède qui me paraît indispensable : ne jamais trop chercher à restituer les détails du vécu. Plutôt rêver son modèle que le reproduire tel qu’il serait. C’est l’objectivité qui ramènerait inévitablement à la terre, avec ses rides et ses misères. Ne pas copier d’après nature, mais découvrir en modelant.